18/07/2015

Pierre Philippe, peintre de la transformation




Nemrod, huile sur toile, 150x120 cm, série vision


Pierre Philippe est un artiste peintre qui réalise des toiles immenses mêlant art figuratif et suggestif ainsi que des travaux sur papier plus abstraits. Son travail aborde des sujets variés, répartis en quatre séries principales : Régénérescence, Vision, Polybride et Sèves. Les trois premières séries sont composées en grande majorité de visages en noir et blanc, ou très peu colorés, réalisés à l’huile sur toile et traités de manières très diverses ;  la série Sèves, plus abstraite, utilise quant à elle des pigments purs sur papier: « Mes trois premières séries sont composées de peintures très intellectuelles et rationalisées, qui explorent principalement les expressions du visage et les imaginaires qui leurs sont associés. La dernière série a été à mes yeux une manière de me lâcher et de réaliser des peintures plus spontanées. Elle doit être comprise à part ». 

Dans sa réalisation des séries Régénérescence, Vision et Polybride, l’artiste a fait preuve d’une cohérence sémiotique indéniable et d’une grande habileté technique. Les effets de fondus, de flou, de projection, de transparence, d’opacité sont parfaitement maîtrisés par Pierre Philippe, qui use de son adresse jusque dans la fabrication du châssis de ses toiles : « Je travaille généralement sur grand format et je fabrique tout moi-même. Du châssis en bois à la pose de la toile, commandée par rouleau de 10m sur 2m10 de large. J’emploie exclusivement du lin pour sa résistance. Lorsque je réalise mes peintures, j’'aime beaucoup le contraste entre la finesse de la peinture, ses fondus, son aspect lissé et d'un autre côté la brutalité de la giclure. L'idée est de les unir dans une même composition ». Le résultat final de chaque œuvre est le fruit d’un procédé complexe faisant appel à diverse disciplines. L’artiste emploie des photos de personnes qui lui sont proches, qu’il transforme à l’aide de différents médiums pour obtenir l’effet voulu avant de les reproduire : « Avant de me lancer dans la peinture, je pars d’une image mentale que j’essaye d’approcher en employant tous les mediums qui puissent me permettre de la représenter. Aussi bien la photo, les logiciels type Photoshop ou le croquis à la main. Je redessine les lignes, je modifie les proportions jusqu'à ce que je trouve ce qui me plait. Ces croquis et photos modifiés sont pour moi des outils de travail que je garde, afin de prendre du recul sur l’évolution de mon travail, mais que je considère d’avantage comme un pont vers autre chose de mieux. Ensuite, je quadrille l'image pour que l'échelle soit respectée lorsque je reporte le dessin sur la toile, mais je ne projette jamais l’image sur la toile pour la décalquer ». Au travers de sa production d’immenses toiles, Pierre Philippe semble chercher à figer l’éphémère. Bien que varié, son travail pictural semble suivre les mêmes questionnements sur le changement et la transformation : « Le changement que je peins n'est pas le mien, mais celui qui habite chaque être conscient de son parcours intérieur. Dans le bouddhisme, il est dit que tout n'est que changement. C'est la loi de l'impermanence, une loi universelle qui transcende tout. Étant très attaché à cette notion, j'ai besoin de la transmettre dans la peinture, au travers des visages qui incarnent des transformations. Je ne me peins pas, je peins les choses qui m'habitent. Il y a inéluctablement une part de moi, mais ça n'est pas le but recherché ».



  Eveil, huile sur toile, série polybride





Pépite, huile sur toile, 120x150 cm, série polybride 

Les premières séries de Pierre Philippe visent à traduire en une image fixe des états psychiques fugaces en exacerbant toutes les caractéristiques physiques qui les traduisent. L’artiste met en place un langage imagé particulièrement percutant : « En décomposant les étapes émotionnelles d'une perception, je cherche à rendre visuellement la puissance qu'elles véhiculent en moi».
La série Vision est composée d’une douzaine de toiles, dont la plupart représentent des visages gigantesques (entre 1 et 2 mètres), traités comme s'il s'agissait de photos en train de se développer dans du liquide révélateur. En employant des effets de fondus et de projections liquides, Pierre Philippe donne aux personnages  un aspect désagrégé et imprécis, rend leur physionomie plus difficile à lire, leur confère un côté muable, comme s’ils étaient en pleine métamorphose. Cet aspect insaisissable est encore accentué par les effets de peinture récurrents qui barrent les yeux des personnages et posent une distance supplémentaire entre eux et le spectateur: « j’ai voulu représenter la dualité de la vision qui à la fois est projetée sur l’autre et est influencée par les autres simultanément. Ce procédé me permet de retranscrire par le visuel ce que j’appelle le filtre de la vision ». Dans la série Polybride, l’artiste poursuit  ses questionnements sur la transformation. Néanmoins, les visages sont plus détaillés, les yeux des personnages apparaissent et les expressions sont tour à tour décomposées, morcelées, réassemblées ou encore soulignées grâce à des effets suggestifs de projection ou de flou. Il fige la progression de la gestuelle qui traduit l’expression en découpant le mouvement en deux ou trois étapes qu’il imbrique en une image unique, presque à la manière de totems. De fait, on ressent une certaine sacralité devant ces toiles qui évoquent une perte de contrôle du corps.





 Travel, huile sur toile, 100x200 cm, série vision



Bédouin, huile sur toile, 100x192 cm, série vision


La série Régénérescence, quant à elle, explore le processus de changement à travers trois immenses toiles (entre 4 et 6 mètres) qui se complètent en une sorte d’éveil spirituel synthétisé. La première toile est titrée Trauma : divisée en quatre compartiments par une croix centrale, elle présente un fœtus qui se détache sur un fond noir, qui encercle l’enfant dans une sorte de bulle : « le fœtus contient tout, il peut devenir la meilleur comme la pire des personnes, ici il s’agit presque d’une évocation christique qui rappelle l’enfant destiné la croix mais aussi l’élu, ce qui est renforcé par l’impression qu’il est comme visé à travers une lunette ». La seconde toile, Résurrection, a été réalisée en forme de croix, ce qui accentue son caractère sacré. Elle présente un être inquiétant dont le regard projette de la lumière, rappelant les personnages de la série vision. Son corps semble s’ouvrir comme une graine fécondée et son esprit le quitter dans une extase douloureuse, presque explosive, qui fait penser au retable d’Issenheim. Cette résurrection, contrairement à la résurrection christique qui se fait dans toute son intégrité physique, semble ne concerner que l’âme qui s’extrait violement de son enveloppe charnelle pour s’en échapper. Enfin, la dernière toile, Solaris, est construite comme  le bogue d’un marron béant contenant un visage rayonnant. L’œuvre est divisée en plusieurs toiles qui se combinent tel un puzzle. Au milieu, le visage occupe une toile ronde, enserrée en haut par deux toiles qui figurent les rayonnements du soleil, et en bas, par deux autres qui représentent des racines.

 Trauma, huile sur toile, 400x400 cm, série régénérescence

Résurrection, huile sur toile, 600x600 cm, série régénérescence
 Solaris, huile sur toile, 550x550 cm, série régénérescence


La dernière série, moins construite, présente des assemblages de traits sinueux, où l’œil imagine un enchevêtrement de fils bleus vifs. L’esprit peut y voir le fil de vie contrôlé par les Parques dans la mythologie grecque ou la traduction visuelle d’un cheminement intérieur. Mais pour l’artiste, « Les enchevêtrements bleus sont une manière de symboliser le vivant, l'énergie propre à l’organique. C'est en peignant la toile Résurrection que j'ai adoré peindre ces sortes de " filaments énergétiques ". Ils sont comme des canaux qui guident la lumière spirituelle. C'est une matérialisation de l'énergie que l'on ne voit pas ».



Traversée, pigment pur de bleu majorelle sur papier, 50x60 cm, série sèves


Dualité, pigment pur de bleu majorelle sur papier, 50x60 cm, série sèves


Le travail de l’artiste se dirige à présent vers un retour au figuratif : « Mes futurs travaux continueront à explorer le thème de la métamorphose, mais de manière moins analytique et en employant davantage de couleur. Je souhaite cependant encore approfondir mon travail sur le flou, le visage et son expressivité. J’ai également prévu d’utiliser du lin brut pas du tout apprêté de manière à affirmer les contrastes entre la fluidité de la peinture et la raideur de cette matière ».




 Transit, huile sur toile, 100x120 cm, série vision



 Oil order, huile sur toile, 120x150 cm, série polybride 
 

 J’invite vivement le lecteur à s’intéresser à l’évolution du travail de Pierre Philippe en se rendant sur son site web, où il trouvera l’intégralité de ses toiles et pourra suivre son actualité artistique :

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